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La Teranga, l'hospitalité sénégalaise

Du 13 au 26 décembre,

Maintenant, cap au Nord, direction Dakar mais aussi la France. Depuis quelques jours, l'eau que nous buvons est légèrement salée. Mais, pendant cette étape, le goût est franchement plus prononcé à tel point que même un local à qui nous prêtons notre bouteille la recrache. Pas facile pour les cyclistes que nous sommes qui avalons chacun environ 10 litres d'eau par jour. C'est encore moins agréable que le goût des pastilles d'hydroclonazone (micropur) que nous utilisons pour traiter l'eau. Et cette fois, même l'"astuce vitamine C" ne fonctionne pas. Nous diluons de temps en temps un bout de pastille effervescente dans nos bouteilles pour dissimuler le goût de chlore d'une part et nous éviter une éventuelle carence surtout quand les fruits nous font défaut. Pour revenir au goût salé, l'explication serait que de l'eau de mer pénètre dans les terres jusqu'à contaminer les aquifères. A Dakar, l'eau de la nappe phréatique devient imbuvable, l'eau courante est puisée en surface du fleuve Sénégal à la frontière avec le Mali et acheminée jusqu'à la capitale.
En fin de journée, nous bivouaquons dans une forêt plantée d'acacias peu avant M'Bour. Autour de cette ville, de luxueuses villas avec vue sur mer, viennent d'être construites. Elles sont organisées en lotissements clos et gardés. Nous sommes sur la côte chic du Sénégal qui offre des pieds à terre au soleil à de riches occidentaux. C'est aussi un des lieux privilégiés pour le tourisme sexuel. Lors de notre pause déjeuner, un quadragénaire sénégalais, mécanicien à Dakar, nous dit être écœuré par le nombre de jeunes filles qui fréquentent de vieux blancs. Il nous parle aussi du couple au Sénégal. Les musulmans peuvent avoir jusqu'à quatre femmes. C'était commun dans le passé mais les hommes de sa génération n'en ont qu'une et c'est bien assez car une femme, il faut s'en occuper et ça coûte cher. Tous les matins, il faut lui donner de l'argent pour la journée, même si elle est riche ou si elle a des revenus. Bref, lui préfère n'avoir qu'une épouse. Il semble redevenir plus commun pour les plus jeunes d'avoir deux femmes.

Une longue après midi de vélo nous conduit jusqu'à Pikine dans la banlieue de Dakar. Là, nous contactons la famille Faye. A Bamako, Debby, co-fondatrice de l'école où travaillait Bonnie nous avait donné leur numéro en nous disant de leur téléphoner lorsque nous approcherions de Dakar. Nous ne savions pas trop ce qu'il adviendrait mais, de N'Dangane, quand nous les avons appelés de la part de Debby, la réponse a été simple : "Pas de problème, téléphonez-nous quand vous serez à Pikine, on viendra vous chercher". Et nous voilà, en train de pousser nos vélos dans les rues étroites et couvertes de sable de cette ville de banlieue en faisant connaissance avec Cheik. Il se présente comme le fils adoptif de Debby qui vivait avec eux quand il était enfant. Nous atteignons la maison familiale qui s'organise autour d'un large couloir qui dessert les autres pièces et fait office de salon. Au fond, le tronc d'un arbre brésilien qui s'appellerait le "nectar" traverse le plafond. Dans le feuillage qui s'étend sur la terrasse, on trouve de petits fruits sucrés. Dans une minuscule arrière cour, sont enfermées des brebis. Le bélier, quant à lui, a été sacrifié pour la Tabaski la semaine passée. Nous sommes tout de suite adoptés par la famille. Fatou est la doyenne, elle est visiblement écoutée et respectée mais se place un peu en retrait de la vie familiale. Elle s'isole souvent dans sa chambre et mange à part avec ses petits enfants. Trois de ses fils et une de ses filles vivent à la maison. Cheik, l'aîné, est chaudronnier sur un chantier à Thiès. Pendant la semaine, il habite là-bas et laisse sa femme et ses deux petites filles à Pikine. Mamadou, le second, travaille comme technicien en ouvrages d'art hydrauliques pour la Sénégalaise des Eaux. Lui aussi est absent la semaine, sa femme Aïcha et sa fille en bas age restent avec leur belle mère! Aziz, le troisième fils, est encore au lycée, en première. Aïta, la fille de Fatou est restée au Sénégal alors que son mari étudie dans une école d'ingénieur en France à La Rochelle. La dernière qui vit ici est une cousine dont le mari est allé travailler clandestinement en Espagne. Voilà pour les présentations, j'espère que je ne vous ai pas fait perdre le fil. Le premier soir, on nous sert, sur une natte à l'écart, des poissons frits avec des frites et une salade pendant que le reste de la famille mange un peu plus loin, réunie autour d'un grand plat. Ensuite, avec Mamadou, Cheik et Aziz, nous nous installons devant la télévision où s'enchaînent des séries abrutissantes. L'appareil trône au milieu du couloir, il est allumé une grande partie de la journée et il endort les conversations. Peu à peu, au fur et à mesure qu'elles terminent diverses tâches ménagères, vaisselle, balayage, repassage, les femmes nous rejoignent. Se déroule alors la cérémonie des trois thés. Aujourd'hui, Aïta le prépare. Elle met la moitié d'un paquet de thé de Chine et du sucre dans une petite théière qu'elle fait chauffer sur un réchaud à charbon devant elle. Une fois infusé, elle verse le thé dans deux petits verres, de très haut pour faire de la mousse. Ensuite, elle reverse le thé dans la théière en préservant le mieux possible la mousse au fond des verres et recommence à verser le thé de très haut. Elle répète l'opération plusieurs fois comme si elle préparait une potion magique. Parfois, elle ne remplit qu'un verre et fait passer le liquide ambré d'un godet à l'autre. Abracadabra, les deux premiers verres sont prêts. Ils sont pour nous, c'est le premier thé, "amer comme la mort". Il n'y a que deux verres, les invités boivent d'abord, les hommes ensuite et pour finir, celui qui a préparé le thé. Puis, Aïta recommence la même cérémonie avec les feuilles ayant servies au premier thé pour obtenir le second, "juste comme la vie", et enfin le troisième, "doux comme l'amour". Vers minuit, nous partons nous coucher dans une chambre qu'ils ont libérée pour nous.
 
Le lendemain, quand nous nous levons, Cheik est déjà parti pour Thiès et Aziz pour l'école. Mamadou qui est en vacances cette semaine, fait la grasse matinée. Les filles insistent pour que nous prenions le petit déjeuner avec elles, pas question de nous laisser partir le ventre vide. Elles changent leur emploi du temps rituel et préparent un café "touba" et des tartines beurrées que nous mangeons ensemble sur une natte. Ce café est réalisé sur le principe d'un café filtre mais au lieu de faire couler de l'eau bouillante sur le filtre, ici un linge rempli de café, elles versent de l'eau chaude dans laquelle a infusé une plante locale. Cela donne une boisson douce qui a à la fois le goût de café et de thé.
Et maintenant, en route pour Dakar! Nous parcourons avec nos vélos non chargés les 15 kilomètres qui nous séparent du centre. Plus nous nous enfonçons dans la capitale sénégalaise, plus la ville devient moderne et tranche avec le reste du pays : beaux immeubles sur la corniche, trottoirs propres, commerces aux standards occidentaux, parc d'attraction face à la mer... Le matin, nous déposons nos passeports à l'ambassade de Mauritanie et le soir, nous les récupérons avec le précieux sésame. Durant la journée, nous passons un long moment à l'institut français Léopold Sédar Senghor, médiathèque récente située dans un petit jardin reposant où est installé un café. Nous feuilletons la presse dans ce havre de paix.
Le retour à Pikine est interminable. Nous slalomons dans des embouteillages monstres parmi des voitures et des camions qui crachent bien trop souvent une fumée noire et âcre.
Ce soir-là, à Pikine, nous mangeons avec la famille, autour du grand plat. Nous attrapons la nourriture devant nous avec la main droite, nous la serrons pour en faire une boule que nous mettons dans notre bouche avec la paume. Technique différente de celle que nous avions apprise en Inde où nous mettions la boule de nourriture sur les doigts et la poussions dans notre bouche avec le pouce. Les femmes dépiautent d'une main experte les poissons qui se trouvent au milieu du plat et nous distribuent des bons morceaux "prêts à manger". Elles font de même pour leurs hommes. Au moment du repas, peu d'échange, chacun mange en silence, rapidement. Encore une fois, nous sommes les derniers.
 
Le lendemain, au lieu de retourner à Dakar visiter l'île de Gorée -utilisée par les Portugais comme plateforme de départ des esclaves au temps de la traite des noirs- ou de faire une excursion au lac Rose -arrivée mythique du Paris Dakar-, nous préférons rester à Pikine. En plus, Aïcha se fait une joie d'emmener Anne-Marie au marché et de lui faire préparer le fameux tiéboudiene. De mon côté, c'est journée repos. La maison est le domaine des femmes. Les hommes s'y font servir et ne participent à aucune tâche domestique. En fait, c'est un peu ennuyeux. D'ailleurs, hormis pour les repas, Mamadou passe la journée à l'extérieur ou dans sa chambre, allongé sur son lit. On a parfois l'impression qu'il n'est pas vraiment chez lui! Aïcha transforme Anne Marie en Sénégalaise, elle lui prête un boubou composé d'une jupe longue noire et d'un haut de la même couleur décoré de paillettes jaunes. Elle lui montre les différentes façons de nouer un foulard sur sa tête. Et les voilà parties, bras dessus bras dessous avec une grande calebasse en guise de panier. Au retour, la calebasse est pleine. Elle contient tous les ingrédients pour préparer un tiéboudiene: du poisson, des légumes (carottes, courge, manioc, navet, poivron et oignon), et pour parfumer : le guédi et le ié (des petits morceaux de poisson séché), des cubes Maggi (ils sont complètement intégrés dans les recettes traditionnelles, bravo Maggi pour ce tour de force marketing),des feuilles et des fleurs de bissap, des graines de tamarin de l'ail et du poivre. Elles ont acheté pile ce qu'il faut, rien de plus. Nous avons enfin compris pourquoi tout est vendu en si petites quantités. Anne-Marie est enchantée, les habitants de Pikine ont apprécié qu'elle se soit habillée en Sénégalaise, elle a fait plein de découvertes (la branchette qui sert à se laver les dents, le thiouraye qui parfume la chambre pour mettre en condition le mari,...) et plein de rencontres avec Aïcha qui connaît tout le monde. Après s'être changées (coquettes, les Sénégalaises se changent plusieurs fois par jour), elles se mettent aux fourneaux. Le tiéboudiene est une recette compliquée, il faut presque deux heures de préparation. Aïcha pilote Anne-Marie. On admet que je jette quelques coups d'œil dans la minuscule cuisine où tout se fait assis sur un petit tabouret ou accroupi, le plat posé à même le sol. Un réchaud sert à la cuisson. Pour les épluchures et les déchets de poissons Aïcha sort avec une pelle et les enterrent comme tout le monde dans le sable de la rue. Ces moyens de cuisiner rudimentaires n'empêche pas que ça sente rudement bon. En effet, le tiéboudiene est très réussi, toute la famille vient féliciter Anne-Marie.
 
 
Lavage du riz cassé / Début de cuisson
 
 PRÉPARATION DU TIEBOUDIEN
 
 
Les légumes et le poisson mijotent dessous, le riz cassé cuit grâce
à leur vapeur au dessus et une calebasse sert de couvercle/ Anne Marie commence à  dresser le plat
 
Le repas terminé, juste le temps de faire une petite sieste, et nous partons acheter des poulets pour le yassa de ce soir. Anne-Marie, chef sénégalaise d'un jour, apprend une autre recette. En une journée, nous avons eu un aperçu du quotidien d'Aïcha rythmé par les tâches ménagères. Les filles de la maison les partagent, Aïcha nous explique que ces jours-ci c'est son tour de faire la cuisine. Nous discutons avec la femme de Cheik sur la terrasse alors qu'elle fait rougeoyer des morceaux de charbon en vue d'une séance de repassage avec un fer traditionnel qu'elle va remplir de braises. Elle nous dit avec désarroi qu'il y a peu de travail à Dakar. Seule la cousine à un petit emploi au centre ville.
Durant la veillée, nous les interrogeons au sujet d'une carapace de tortue accrochée au mur sur laquelle sont inscrits des noms. C'est leur arbre généalogique, ils connaissent les noms et les histoires de leur arrières grands parents jusqu'à vingt générations en arrière! Aux murs, sont aussi accrochés des portraits de marabouts célèbres. Ils ont au Sénégal une grande importance. Lors des fêtes la foule se presse pour aller voir ceux dont les pouvoirs sont supposés les plus grands. Ce sont des marabouts musulmans. Il existe aussi des marabouts animistes et évidement des marabouts de ficelle (des charlatans).
 
 
Anne-Marie, Pierre, la femme de Cheik, la cousine, Aïcha et Aïta et les enfants.
 
Le lendemain matin, nous reprenons la route après le petit déjeuner et rallions Thiès. Nous avons besoin de faire une "pause technique" : lessive, mise à jour du site internet et nous devons récupérer sur le web la liste des postes sur lesquels Anne-Marie pourra poser sa candidature. Ça commence à sentir le retour! Conclusion, nous préférons aller dans une auberge pour régler tout ça. Alors que je visite une chambre de l'hôtel Rex, Anne-Marie fait connaissance de Hawao, 15 ans, et de deux de ses amies collégiennes. Lorsque je ressors de l'hôtel, qui soit dit en passant était bien trop cher, je trouve Anne Marie en pleine conversation. Leur professeur de lettres, Papa Amadou Thiam qui sort du collège situé à deux pas se joint à nous et nous propose de visiter leur établissement tout neuf. Nous sommes mercredi après midi, beaucoup de classes sont vides, seuls deux professeurs sont présents : l'un donne des cours privés de soutien et l'autre anticipe un cours de maths car il sera absent le vendredi qui suit. Papa Amadou serait intéressé pour faire un échange interclasses avec la France. Il aimerait dans un premier temps faire correspondre des élèves des deux pays. Je ne suis pas sûr que ce blog soit une tribune avec une grande portée, mais si un professeur intéressé lit ces phrases, qu'il se fasse connaître et nous lui transmettrons les cordonnées de Papa Amadou.
A la fin de notre visite, Hawao insiste pour que sa sœur Fatima nous trouve une auberge. Elle est si persuasive que nous la suivons à travers Thiès à la rencontre de son ainée. Finalement, elle nous amène chez elle et quelques minutes plus tard, Fatima rentre du boulot. Elle a 29 ans et est aide soignante à l'hôpital. Fatima et Hawao sont guinéennes et sont arrivées au Sénégal il y a cinq ans. Elles s'occupent de leur mère avec qui nous n'avons pas beaucoup communiqué car elle ne parle pas du tout le français. A la maison il y a aussi Fatou, une craquante et espiègle petite nièce de 7 ans qui adore jouer avec nous et nos frontales pendant la quotidienne coupure d'électricité de début de soirée, et une cousine, très discrète. Tout ce petit monde vit en colocation avec Maguet, une dame sénégalaise qui n'a pas d'enfant. Son mari qui a une autre femme, vient la voir un jour sur deux. Fatima nous propose de nous prêter sa chambre pendant notre séjour à Thiès. Bien sûr que nous nous ferions une joie d'accepter, les rencontres donnent une âme à cette année, mais nous avons vraiment besoin de temps pour nous et nous ne pensons pas être suffisamment disponibles pour échanger. Nous essayons de leur expliquer, en vain. Nous sentons que les deux sœurs ont vraiment envie que nous restions, nous serons comme chez nous dans leur maison, libres d'aller et venir à notre guise nous disent-elles. Au moment où finalement nous acceptons de rester, elles sautent toutes les deux au plafond. Le soir, elles nous servent à part dans le salon un tiéboudien. Nous sommes surpris de manger seuls. Le lendemain, un certain malaise s'installent, Hawao s'occupe tellement de nous que cela nous gêne. A son retour du collège, le jeudi elle ne travaille que de 8h à 10h et de 17h à 19h, elle se lance dans la cuisine refusant qu'on l'aide, range notre chambre et fait notre lit pendant que nous sommes sortis. Vers quinze heures, Fatima revient, nous sommes conduit dans le salon et Hawao nous sert le déjeuner. Nous ne comprenons pas ce qu'il se passe, pourquoi nous sommes à la fois assistés et mis à l'écart. Fatima, qui veut à tout prix que nous nous sentions à notre aise nous explique alors des traditions guinéennes : la petite sœur lave le linge et s'occupe du ménage de sa grande sœur, elle ne l'appelle pas par son prénom mais "grande sœur", c'est la même chose pour une sœur vis à vis de son frère avant qu'il ne se marie et que sa femme prenne le relais. Ainsi Hawao a agit pour nous comme elle fait d'habitude avec sa sœur. Pour eux, c'est une question de respect. C'est aussi par égard et pour ne pas que nous soyons gênés de manger dans le même plat que toute la famille que nous sommes servis à part, mais maintenant, puisque nous préférons, nous mangerons tous ensemble!
Finalement nous arrivons à mener nos activités personnelles en famille: Anne-marie fait une grande lessive dans les baquets de la cours en devisant avec les voisins, nous allons au cybercafé avec Hawao et Fatima...
Le lendemain, Fatima nous fait visiter l'hôpital. La médecin avec qui elle travaille au service de dermatologie et de traitement des malades atteints du sida nous consacre un moment. Si ces deux spécialités ont été associées, c'est pour une question de discrétion: à l'extérieur, personne ne sait pour quel problème le patient vient consulter. Pour la prévention, ils distribuent des préservatifs masculins et féminins. Pour le traitement, l'Etat paie la trithérapie aux malades. Ils ont un bâtiment consacré à la prise en charge psychologique des séropositifs : ils les rassemblent autour de diverses activités, telles que cuisiner un repas, pour leur permettre de se rencontrer, d'échanger et de partager leurs expériences. C'est essentiel car par méconnaissance du sida et de ses modes de transmission, la population exclut facilement les séropositifs même s'il s'agit de membres de leur famille. Le système est assez efficace, le Sénégal est un des pays les moins touchés d'Afrique (moins de 1% de séropositifs dans la population contre plus de 10% dans beaucoup d'autres pays africains).
L'après midi, alors que je pars travailler sur internet, Fatima prend un taxi avec Anne-Marie pour aller à la sortie de Thiès lui montrer un terrain qu'elle vient d'acheter avec ses économies. Elle envisage d'y bâtir petit à petit une maison. Fatima est très entreprenante et elle mène à bien ses projets. Nous lui souhaitons plein de réussite.
Ce soir, c'est vendredi, les sœurs ont prévu de nous emmener en boîte pour nous faire découvrir la musique et les danses sénégalaises. Malheureusement, je ne suis pas très en forme, je me sens complètement à plat et la soirée tombe à l'eau. Le lendemain matin, c'est en tant que patient que je retourne à l'hôpital. Fatima nous dirige directement vers le médecin de garde et fait passer mes analyses en urgence. Encore une fois, elle est déroutante de gentillesse et d'efficacité. La goutte épaisse qui teste le paludisme est négative, ouf! Par contre, mon bilan sanguin révèle des globules blancs bas et ma tension est à 10/7. Le docteur diagnostique une infection et me prescrit dix jours d'antibiotiques.
L'après midi, après une séance photos avec toute la famille, nous reprenons tout de même la route en direction de Saint-Louis. Pas facile de partir, après deux jours, nous étions déjà adoptés... Elles nous offrent, des tuniques en tissu guinéen cousues spécialement pour nous, des bijoux, dont un bin-bin. Encore coutume sénégalaise amusante, le bin-bin est grand collier de perles que toutes les femmes mettent autour de la taille, sous leurs vêtements pour, comment dire... motiver le mari!
 
 
Hawao, Fatima, Anne-Marie et Fatou / La maman et Fatou
 
Deux jours et demi de vélo sans histoires, dans un paysage de brousse, nous conduisent à Saint Louis. Cette ville légendaire, accrochée en plein delta du fleuve Sénégal, fut la capitale de l'Afrique occidentale française jusqu'en 1902 où elle fut remplacée par Dakar qui demeura la capitale du Sénégal lorsqu'il accéda à l'indépendance en 1960.

 
 
Une petite photo aérienne qui met en évidence l'environnement exceptionnel de la ville, parfois surnommée "Venise africaine":
Le centre ville historique c'est l'île centrale 2, c'est là qu'on retrouve les bâtiments coloniaux.
Pour y accéder depuis l'île de Sor (3)  il faut emprunter le pont métallique Faidherbe.
Enfin, en 1, la langue de Barbarie fait face à l'Atlantique.
C'est le repère des pêcheurs du petit village de Guet Ndar.

 
Grâce au Couchsurfing, nous sommes hébergés par Morgan, un expatrié français qui travaille à la restauration du pont Faidherbe, classé au patrimoine mondiale de l'UNESCO et qui mérite franchement un petit rajeunissement. Pédaler sur son tablier métallique rongé par la rouille en évitant les trous fournit quelques émotions...
 
 
Pont Faidherbe
 
Nous profitons de la grande maison au confort occidental que lui paie son entreprise. Comme chez Tak à Delhi, Dado une dame sénégalaise vient faire le ménage et mitonner des petits plats. Nous restons beaucoup à l'intérieur à nous occuper du futur poste d'Anne-Marie : rédaction d'un CV, prise de contact avec les responsables. Nous apprécions pour cela d'être dans une maison moderne avec le wifi même si dans ces moments-là, nous avons vraiment l'impression de quitter le Sénégal. Nous le retrouvons quand nous franchissons la porte de la maison pour nous balader en ville. Un jour, en fin d'après midi, nous marchons jusqu'au village de pêcheur de Ndar sur l'étroite langue de Barbarie, maisons regardant la mer avec sur la plage un bataillon de pirogues alignées en rangs serrés proue vers les flots, prêtes à sortir en mer. La lumière est irréelle, le jaune du soleil couchant vient iriser l'écume des vagues de l'Atlantique. Des enfants jouent au foot sur la plage. Nous n'osons pas sortir notre appareil photo de peur de troubler ce moment parfait. Un pêcheur vient nous parler. Il nous dit qu'ici la période de pêche s'étend de février à juin. En ce moment, peu de pirogues sortent car on ne peut espérer attraper que des sardines. Il nous confie avec nostalgie que ce métier est en voie de disparition. Il y a de moins en moins de poissons et le gouvernement à vendu des droits de pêche dans les eaux territoriales à d'énormes bateaux chinois. pour illustrer son propos il désigne un de ces bateaux-usines qu'on aperçoit au large. Pour gagner un peu d'argent, notre ami va faire des campagnes de pêche avec des étrangers. Il s'est fait employer par les Mauritaniens dont les côtes seraient les plus poissonneuses d'Afrique. Cependant, il n'a pas supporté qu'on le traite comme "un esclave", selon ses termes. Au temps du commerce triangulaire, les arabes rassemblaient les noirs pour les vendre aux Européens. Le ton qu'il emploie laisse entendre que la plaie n'est pas complètement cicatrisée. Quelques années auparavant, des bateaux portugais sont se sont arrêtés dans leur village pour recruter des marins et les emmener pêcher loin au Sud. Il faisait parti du voyage qui reste pour lui une bonne expérience. Il a apprécié les conditions de travail, le salaire et le fait que les Portugais soit "réglos". Il n'est pas la première personne à nous dire qu'il aime travailler avec les Européens pour leur rigueur. Des Sénégalais nous ont surpris en nous disant ouvertement regretter que les Français soient partis.
Notre ami est affligé car il n'a pas les moyens d''envoyer ses enfants à l'école, alors que lui même, "un enfant de Senghor", a pu étudier et apprendre le français. Léopold Sedar Senghor a été le premier africain agrégé de grammaire. Enseignant et poète, attaché à la francophonie, il est devenu le premier président du Sénégal après l'Indépendance en 1960 et a beaucoup œuvré pour démocratiser l'éducation dans son pays.
Nous parlons aussi de chose un peu plus légères. Le dernier français célèbre qui est venu leur rendre visite c'est Georges Pernoud: il leur a consacré un reportage de Thalassa! Un grand souvenir pour lui. L'animateur a beaucoup échangé avec les pêcheurs et pour les remercier de leur coopération, il les a mis en relation avec les marins pêcheurs de Concarneau qui leur envoient tout les ans des gilets de sauvetage.
Saint Louis est aussi jumelée avec Lille qui fournit régulièrement des moustiquaires. Alors qu'il se félicite de ces initiatives, nous nous demandons une nouvelle fois, quand l'Afrique de l'Ouest pourra-t-elle devenir plus autonome?
 
Nous passons la soirée du réveillon sur le toit-terrasse de la maison de Morgan qui a organisé une petite fête pour l'occasion en invitant une partie des expatriés de Saint Louis. Des personnes intéressantes et originales, qui travaillent dans des domaines aussi variés que l'aménagement et l'environnement (ONG promouvant les biocarburants, petite entreprise d'irrigation, construction de bâtiments), la recherche anthropologique  (pour sa thèse sur la séduction féminine illustrée par les mariages au Sénégal, la chercheuse a appris a tresser , s'est fait employer dans un salon de coiffure et a ainsi pu rencontrer les jeunes filles qui allaient se marier et se faire inviter à la cérémonie!), la couture (montage d'une école de mode)... C'est incongru de pénétrer dans ce microcosme pour le réveillon, de voir comment l'éloignement de leur pays fait, peut être un peut artificiellement, se fréquenter les expatriés.
Le 26, nous reprenons les vélos et pédalons vers la Mauritanie. Elle est toute proche, à peine 30 kilomètres. 
 
 
En quittant Saint Louis