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Chez les princes du désert

Du 26 au 30 décembre,

Le 26 décembre nous partons de Saint-Louis et passons la frontière à Diama. On passe d'un pays à l'autre en traversant le fleuve Sénégal non loin de son embouchure sur le barrage de Diama.  C'est un barrage anti-sel construit dans les années 80. Il a pour vocation principale d'empêcher les remontées marines dans l'estuaire du fleuve (et de permettre ainsi la culture sur les terrains avoisinant). C'est une frontière secondaire qui est beaucoup moins fréquentée que celle Rosso car il faut rouler sur de la piste à partir de la Mauritanie. Le douanier sénégalais, distrait, met un tampon "Entrée" sur mon passeport (qu'il corrige avec une "Sortie"). En effet la plupart des voyageurs rentrent au Sénégal par la Mauritanie et peu font le voyage en sens inverse. Une combine (ou un business selon les cas) très courante consiste à faire le trajet jusqu'en Afrique de l'Ouest avec une vieille voiture solide (du type grosse Mercedes) et de la vendre arrivé sur place. Les Africains qui ne disposent pas de concessionnaires et d'un approvisionnement suffisant en automobiles les achètent au prix fort. C'est l'une des explications de ce déséquilibre 'Entrée/Sortie' entre le Sénégal et la Mauritanie.  Il y a aussi un effet "Paris/Dakar" et pour les voyageurs à vélos comme nous, une raison météorologique lorsque l'on descend la Mauritanie, le vent dominant, l'Harmattan, souffle dans le dos... C'est beaucoup plus dur de remonter.
Malgré la gaffe du douanier, nous passons la frontière en moins d'une heure. Juste le temps d'attendre que le précédent fasse les formalités. C'est un français au puissant accent du Sud qui baratine le policier, lui offre un gilet jaune, et parle sans rougir de la femme avec qui il s'est marié au Sénégal qui l'attend depuis mars: "elle commence à s'impatienter". Un exemple de ces occidentaux, qu'Anthony et Morgan nous ont décrits et appelés "vieux dégoutants" qui abusent de leur pouvoir économique pour "s'acheter" des femmes africaines. Ces hommes, ayant souvent une vie familiale en France, se marient en Afrique (moyennant une conversion factice à l'Islam) et disposent durant leur séjour (pour motifs professionnels ou personnel) des faveurs d'une femme soumise qui les attend tout le reste de l'année (et qui ne pourra quant à elle plus se marier ou avoir une autre vie de famille!).

Les douaniers mauritaniens quant à eux nous prodiguent quelques conseils de sécurité et nous offrent des bouteilles d'eau supplémentaires. Nous transportons près de 8 litres chacun, de vrais chameaux.
Ça y est nous pédalons sur la piste Mauritanienne, après quelques kilomètres dans des paysages sahéliens, nous atteignons un point de contrôle de gendarmerie au niveau d'une bifurcation. Tout droit c'est la piste des plages et vers l'Est c'est celle qui rejoint l'unique route Rosso-Nouakchott. Nous décidons de prendre vers l'Est tout en observant le petit manège des gendarmes qui essaient de soutirer 1000 ouguiyas à des jeunes dans un camion sous un prétexte douteux. Le bakchich fait partie du jeu en Mauritanie.

 

 
Vaches dans un paysage sahélien

 

 
Premiers chameaux

 

Changement d'écosystème. Nous voilà maintenant en pleine zone humide. Autours de nous des canaux, des marais, des tamaris, des joncs et ... des milliers d'oiseaux. Nous sommes dans le parc national du Diawling. Il s'agit d'une zone naturelle en cours de restauration.  Le fonctionnement naturel du delta, se caractérisant par une alternance d'apport d'eau douce amenée par le fleuve et d'eau de mer, a été considérablement perturbé par le barrage antisel de Diama...  Les terrains s'assèchent et le désert avance. Pour tenter de restaurer l'écosystème estuarien l'Etat mauritanien a mis en place un système d'ouvrages hydrauliques qui alimentent artificiellement la zone en eau douce.

 



 
Pélicans, canards suchet et bien d'autres font un ballet à notre passage

 

Nous traversons cette zone merveilleuse au soleil couchant. Des nuées oiseaux s'envolent à  nos côté, Pierre fait la course avec un canard. Mais quel est ce gros animal que j'aperçois entre les joncs? Un gros crocodile à l'affut. Je prend rapidement une photo tandis que Pierre me presse pour déguerpir: et si il y avait toute la famille dans les parages?

 

 
On ne s'attendait pas à le rencontrer en bord de piste!

 

Nouvelle petite frayeur quelques kilomètres plus loin, un gros phacochère qui trottine sur la piste et va se vautrer sur la terre humide. On va passer discrètement et se préparer à une accélération... Finalement c'est nous qui l'effrayons et il disparait dans un taillis.

Avec toutes ces rencontres on n'est pas très rassurés pour notre bivouac du soir. Nous trouvons quelques kilomètres plus loin un grand chantier, les mauritaniens construisent ici une station de captage. L'eau du fleuve Sénégal va être acheminée jusqu'à Nouakchott. Nous dormons dans cet environnement, certes pas très charmant, mais rassurant. Un petit groupe de français posent aussi leur tente près de nous. C'est une bande de copains qui voyagent avec de vieilles berlines achetées en France qu'ils comptent revendre au Sénégal pour se payer un billet d'avion retour. L'Afrique récupère tous les tacots robustes dont on ne veut plus en Europe. A Bamako on a même vu un bus de Venise et un autre de la région Charente.

Le matin, un petit groupe de travailleurs mauritaniens enturbannés dans leur grand chèche se postent devant notre tente et nous observent: brossage de dents, petit dej et pliage de la tente, nous faisons leur spectacle. 

 

 
Bivouac sur chantier

 

Comme on a pris la mauvaise habitude de braver les interdits (ils sont en Afrique plus négociables qu'en Europe) nous franchissons la barrière et empruntons une piste en travaux qui part à l'Est et qui nous parait rejoindre plus rapidement la route goudronnée de Nouakchott que la piste en service. Il nous faut argumenter un peu, mais on nous laisse passer. Au moins on ne sera pas dérangés par la circulation. Pas facile ces pistes qui grimpent et descendent les dunes, ça nous casse les jambes rapidement, il faut surfer dans des petits passage ensablés sous l'oeil dubitatif des chameaux.

 

 
Piste casse-pattes

 

 
Quelques rares habitations

 

 
Petit repos à l'ombre

 

 
Chameau qui mange des pousses piquantes, ces bestioles sont vraiment solides

 
Aux alentours de midi nous croisons un petit chantier (toujours pour l'adduction d'eau) et demandons aux ouvriers quelques renseignements sur la piste. Ils nous invitent à prendre un thé, et nous passons un long moment à discuter avec Mohamed et  Chedade, le gardien du chantier. Il prépare le thé, un peu de la même façon qu'au  Sénégal, avec application. Il nous montre sa blague à tabac mauritanienne, un joli objet de cuir coloré qui sert à stocker le tabac et les cendres avant de les jeter. Les mauritaniens fument de très longues pipes effilés où on il faut ajouter une toute petite quantité de tabac, juste pour une ou deux taffes. Fumer, comme boire le thé est un art. On nous apprend le secret de la robustesse et de l'embonpoint des femmes mauritanienne: le lait de chamelle. Je ne le croyais pas, mais ces animaux sont trait tous les soirs. Pour nous convaincre et nous donner un peu d'énergie Mohamed nous en sort une bouteille plastique  pleine, il coupe  le lait avec un peu d'eau, rajoute du sucre et nous invite à gouter. Bon, c'est pas pasteurisé, ça a macéré par 45° à l'ombre et c'est coupé à l'eau, mais on est prêt à prendre le risque d'une grosse tourista pour gouter ça! C'est très bon, un peu acide comme du petit lait et effectivement nourrissant (et sans effet secondaire!).

Mohamed et Chedade nous parlent du mariage en Mauritanie. Il se conclut après accord des deux familles et, contrairement à ailleurs, il se rompt très facilement. Pourvu qu'il ait une quelconque raison, le mari peut ramener la femme chez ses parents et la "rendre". Pas de crises de larmes, pas d'hommes qui maltraitent leur femme (du moins c'est ce qu'ils nous expliquent), on ramène la femme et on en prend une autre. Certains mariages peuvent durer ainsi une journée. En Iran il existait aussi une coutume du mariage à la journée, que l'on pourrait comparer à une forme de prostitution. Comme les mœurs ne sont pas libres ce sont les règles qui sont adaptées...

Ils nous expliquent encore qu'en Mauritanie on invite facilement chez soi, "ce n'est  pas comme en France où il faut une invitation". C'est vrai que l'hospitalité est ici bien plus naturelle. Nos amis nous proposent de nous avancer jusqu'à la route, car ils partent en camion pour manger. Nous acceptons, il restait dix kilomètres de montées et descente dans les dunes et nous ne sommes pas mécontents de les faire avec eux dans le camion qui sautent gaiment. Pour finir nous sommes invités par Chedade à Tiguent, rendez-vous ce soir devant la station service.

 

 
Cuisine des pâtes à l'eau à l'ombre des bâches du chantier

 

 
Dans le camion avec Mohamed et un autre ouvrier

 

 
Enfin le goudron! Et la très monotone, rectiligne et brûlante route Rosso/Nouakchott

Bon, ça y est, on a atteint le goudron. Il nous reste que 40 km à faire dans l'après midi pour atteindre Tiguent. C'est plat et monotone, et surtout très chaud. Plus de 40°, mais on s'est habitués en Afrique.

Tiguent est la seule petite ville avant Nouakchott. Nous l'atteignons à la tombée de la nuit, fourbus et desséchés comme des lézards. A la station service on ne trouve pas Chedade. On apprend qu'il y a une deuxième station quelques mètres plus loin. Là encore point de Chedade. Le boucher, qui expose ses denrées sanglantes près du bitume, nous indique une rue derrière. Nous poussons les vélos dans le sable accompagnés d'une dizaine de personnes qui nous aident. En fait on comprend qu'il ne savent pas où ils nous mènent. La nuit tombe, je perds un peu courage. On revient sur le bitume et on décide d'aller tenter de trouver Chedade au siège de la SADE, l'entreprise française qui les emploie pour l'adduction d'eau potable. On parle avec un gardien devant une grille, il appelle le chef du chantier, quand tout à coup, scène de théatre: un grosse voiture freine à notre hauteur et deux hommes vêtus de larges tuniques blanches  brodées d'or et coiffés de grands turbans immaculés qui tranchent dans le crépuscule sortent du véhicule. L'un d'eux s'exclame: "Ah! Mon ami! Tu m'as fait courir!". A la vue de notre ébahissement, il rajoute "Tu ne me reconnais pas?". Ces deux princes du désert sont  Mohammed et Chedade, en costume traditionnel maure. Nous sommes impressionnés par l'aura qu'ils dégagent vêtus de cette façon. En fait, Chedade nous avait poursuivi lorsque nous sommes partis de la station, et nous ne l'avions pas entendu. Qu'importe, nous nous sommes retrouvés et il nous conduit chez lui. C'est une maison modeste constituée d'une cours, d'une pièce servant de salon et d'une chambre. Point de meubles mais des nattes, tapis et coussins à même le sol. Nous nous installons. En Mauritanie, il est important de s'assoir confortablement, Chedade nous montre les différentes positions que prennent habituellement les gens sur les nattes. Allongés avec un coussin sous la tête, jambe ou bras replié. Tout l'art d'un peuple qui vit dans de dures conditions et a la sagesse d'économiser son énergie vite rongée par les éléments. Nous mangeons avec Chedade, Mohamed et d'autres amis, tous assis, ou allongés autours d'un plat de délicieux poulet qu'a préparé la voisine. Le soir Chedade nous laisse sa chambre et une natte sur le sol.

 

 
Chez Chedade à Tiguent

 

Le lendemain nous commençons la journée à 6h, en même temps que nos amis qui partent au chantier. Pour atteindre Nouakchott, c'est une grosse étape de 108 km qui nous attend. Pas le choix, il n'y a rien avant. La route est rectiligne et monotone et un vent cruel et brûlant nous ralentit. A midi nous trouvons 20cm d'ombre près d'un bâtiment en tôles isolé pour avaler sans conviction un peu de pain et des sardines. La chaleur est accablante, il doit faire près de 50°, je me rend compte que j'ai la vue perturbée, mon oeil gauche ne voit plus correctement le rouge, Pierre est aussi sur le point de craquer physiquement, mais nous tenons le choc et avançons, fort heureusement, il fait plus "frais"  dans l'après midi et nous finissons par atteindre Nouakchott où nous nous écroulons dans la chambre du "relais nomade". 

Nouakchott est une ville assez quelconque et poussiéreuse. Ce qu'elle a de plus beau ce sont les mauritaniens eux-même habillés de leur grands draas blancs ou bleus qui déambulent avec fierté dans les rues. C'est un pays où les hommes sont plus élégants que les femmes.

Notre objectif à Nouakchott est de trouver un transport pour traverser le reste du désert et le Sahara occidental. Nous n'avons ni le courage, ni l'envie de nous attaquer à 1000km de désert inhospitalier, les 100 derniers ont déjà bien suffis! On a entendu dire que des camions marocains pouvaient transporter les voyageurs. Nous menons notre petite enquête. Nous prenons le lendemain la direction du marché marocain. On repère les étals d'oranges, il y a un beau camion vert et un chauffeur qui en descend. Il a l'air sympa, on l'aborde. Il ne parle pas français mais on négocie avec ses collègues de monter dans le camion pour le Maroc le soir même. C'était vraiment pas difficile! Il va nous en coûter 70€ chacun pour 3 jours de trajet jusqu'à Tiznit où nous devrions arriver le 31 au matin. Rendez-vous à 17 heures ce soir.

A 17h, nous sommes au rendez vous, mais rien ne se passe. On attend sur des petits tabourets de bois, pendant que notre chauffeur fume, discute avec ses compatriote marocains, ou s'éclipse on ne sais où. On a le temps de regarder les passants, les mauritaniennes cachées dans leurs melhafas, les mauritaniens en  draas et tous ceux qui sont en habits crasseux, qui guident des charrettes tirés par de pauvres ânes qui n'ont même plus mauvais caractère, résignés sous les coups répétés de leurs maîtres. On part finalement à 19h30, visiblement les camionneurs marocains préféraient attendre la nuit. Nos vélos et nos sacoches sont dans la remorque vide à l'arrière et nous devant avec le chauffeur. Après quelques kilomètres nous nous arrêtons prendre un autre passager: Fatima, une dame mauritanienne qui s'installe dans la couchette derrière les siège. Détail amusant, elle transporte avec elle sa bouteille plastique de lait de chamelle.

Au fur et à mesure de la route nous découvrons la corruption. A chaque barrage de police, notre chauffeur donner les passeports accompagnés d'un ou plusieurs billets pour pouvoir continuer la route. A un de ces barrages les policiers refusent de rendre le passeport du chauffeur. Impossible de repartir. Nous allons parler aux policiers, la raison qu'ils invoquent est que le transport de passagers est illégal. Nous sommes un peu inquiets, combien de temps allons nous rester bloqués là? Nous patientons sous les étoiles, Fatima, la passagère mauritanienne prie dans les dunes, les conducteurs marocains (car nous voyageons en convoi) sont allongés sur le sable et plaisantent. Nous faisons connaissance avec un passager qui voyage dans un autre camion. Il est marocain et son boulot consiste à passer les voitures européennes en Afrique. Il vient d'en vendre une et rentre en camion (car c'est plus économique que l'avion). C'est lui qui nous explique que les policiers demandent en fait un gros bakchich de 3000 ouguiyas. Plus qu'à l'accoutumée, ça se joue à qui cédera le premier. Après plus d'une heure d'attente les chauffeurs finissent par payer et on repart.

Nous nous arrêtons en pleine nuit, au milieu de nulle part, à une soixantaine de kilomètres de Nouadhibou et de la frontière mauritanienne. Il y a un relai rudimentaire installé par un marocain, conçu pour les camionneurs.  On y mange une tajine avec du pain et on passe le reste de nuit dans un abris ouvert sous la nuit étoilée du désert.

 

 
Une dune

 

 
Notre beau camion vert

Le matin nous passons le poste frontière mauritanien, simple formalité. Après, c'est un no man's land d'environ 6km. Pas de goudron et une piste complètement défoncée de laquelle il ne faut pas s'éloigner car les abords sont minés. Nous apercevons une étoile verte sur un fond rouge... bienvenus au Maroc.